Reprenons!

Près d’un mois sans mention de vie, et pourtant, la vie a continué inexorablement. Malgré un atterrissage réel à la mi-septembre, il subsiste cette sensation de hors-sol. Le déconfinement de la mi-octobre n’est qu’un lointain souvenir tant il a fallu agir contre le poids des tâches à venir. On ressent le besoin de reprendre pied dans un torrent plus profond que la sensation qui s’en dégage. Les réflexes reviennent, un peu rouillés. On tente d’imposer son tempo et cela cahote un peu contre les impératifs relationnels et professionnels. Certains sont du matin quand d’autres semblent vivent à rebours et privilégient une vie nocturne. Les tourments de cette confrontation sont nombreux et on s’en extirpe rapidement au risque de briser certains liens nouvellement noués.

L’attente pour certains a dû être un piège imprévisible. Attendre le fantasme d’une délivrance relationnelle va emporter celle qui semble m’avoir espéré durant ces mois derniers. Attendre ce que l’on a inventé, la confrontation au réel fait mal et pourtant, aucune pitié de ma part ne s’en dégage. Revenir a été un acte de responsabilité, de résilience aussi mais un acte en accord avec mes aspirations de l’instant. Aucune trahison personnelle, au risque de donner le sentiment contraire à ceux qui auraient imaginé l’oasis. Un mirage ne se reproche pas à lui-même d’être ce qu’il est, il a cette vocation de tromper celui qui croit aveuglément, qui croit par pur désir égotique, qui fantasme une vie par procuration. Le mirage n’est coupable de rien, pas plus que je ne le suis au fond.

La reprise des cours en présentielle est une délivrance! La joie m’a possédé un mardi soir à 18h30, je pouvais tout, j’étais capable de tout! Les étudiants ne s’y sont pas trompés et je me souviendrai de cette énergie folle qui a submergé la salle de classe. Je planais littéralement! Je retrouvais la raison première de mon retour : enseigner face à face, transmettre les yeux dans les yeux, faire rebondir ma voix dans les caboches avides de France. Le phénomène se reproduira quand je prendrais place dans le programme de coopération avec l’université des sciences électroniques de Xi’an. 100 élèves en 3 brigades de 3 niveaux différents! On redécouvre l’envie d’insuffler la passion et l’envie de faire comprendre, de faire partager son univers. Certains élèves boudent déjà le français mais certains se prennent au jeu et le cours devient un nouveau terrain de jeu de toutes les pitreries pédagogiques que les limites (françaises) permettent. Le cours tranche certainement avec celui de mes collègues, sans être supérieur pour autant. Le ressenti est ailleurs, il devient plus personnel.

On commence à reprendre une routine, et pourtant, les pieds ne touchent pas encore tout à fait le sol. Je me pose la question des modalités d’installation de la routine, le sens que je veux lui donner. La psychose de la maladie rend l’ambiance épidermique à la moindre poussée de fièvre sur le territoire. Tout change du jour au lendemain, privilégiant l’irrationnel à la raison. On s’en plaint mais jamais directement, jamais frontalement. Je croyais être le seul à ronchonner, je me rends compte que les Chinois partagent silencieusement ce sentiment ; mais le quotidien doit reprendre sa place de quotidien et les supputations repoussées aux calendes. On regrette de ne pouvoir voyager sans crainte hors de la région, voire hors du pays mais la résilience prend le dessus sur l’envie de se plaindre. On vit! Alors, faisons ainsi et vivons à notre tour. La cage est faussement dorée mais comme tout en Chine, cela fait illusion. On sait qu’elle est là et on fait semblant de se rafraichir à cette source factice. Les rôles sont bien distribués, la scène est bien jouée. Tout le monde sait que l’autre à un masque mais la pièce doit se dérouler ainsi. Remettons le masque, je dois monter sur les planches à mon tour.