L’empire du Milieu ou la Société harmonieuse ?

«  La société harmonieuse est un objectif, mais à l’heure actuelle, elle ne l’est pas ». S’il est vrai que la lecture d’ouvrage de savants du monde entier n’est pas pour me déplaire, la sagesse populaire (ou du moins, sa parole) a au moins le mérite de la franchise et de la clarté. Car s’il n’est pas dans mes habitudes de philosopher en Chine, la parole de mon vendeur de tofu quotidien a su aiguiser ma curiosité sur le terme de « société harmonieuse ».

Depuis le passage en douceur du flambeau entre Hu Jin Tao (胡锦涛) et Xi Jin Ping (习近平) en 2013, ce dernier a su relancer une campagne de communication à travers le paradigme du « Rêve Chinois  – 中国梦». A l’appuie de ce rêve, on a vu fleurir un peu partout des affiches de « propagandes » (qui en chinois n’a pas le sens péjoratif comme nous le concevons en Europe) aux contenus étonnamment très…traditionnels.

« Une table de repas civilisée : pas de nourriture ni de plats qui restent »

« Une table de repas civilisée : pas de nourriture ni de plats qui restent »

Les mots s’ajoutant aux dessins, un slogan en particulier a attiré mon attention : « harmonie » (和谐), ou plutôt «  Une société socialiste harmonieuse ». Étonnant agencement des mots entre le concept de société socialiste et d’harmonie car cette idée d’harmonie était déjà abondamment développée par le philosophe Confucius (孔子) notamment dans ses Analectes (VI.28) : « La vertu d’humanité, c’est élever autrui comme on souhaiterait l’être soi-même ; c’est le faire parvenir là où on le voudrait soi-même. ». L’harmonie entre les hommes sera la clé de l’harmonie dans la société. Si les messages « socialistes » et « confucianistes » se rejoignent sur le fond, c’est surtout le recours même à la dialectique confucianiste qui détonne.

Le révolution culturelle ayant eu pour objet de mettre fins aux « Quatre vieilleries » (vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes et vieilles habitudes), l’immixtion de l’harmonie confucéenne au soutien du pouvoir en place m’interroge. Eu égard à l’éducation reçue, comment les chinois de la génération 80 intègrent-ils ce message ?

Un de mes éphémères élèves de français, devenu ami entre temps, me disait : « En fait c’est un sujet très important mais on le pratique mal. Selon Confucius, il faut avoir l’harmonie à l’intérieur et à l’extérieur, mais le gouvernement chinois ne fait que l’extérieur […] l’apparence. En d’autres mots, on ne fait que crier des slogans mais on ne [fait pas]de choses réalistes, importantes pour le peuple. Mais pour le peuple chinois, ce que l’on doit faire c’est des choses petites, réalistes, du quotidien. Par exemple, si on veut l’harmonie, il faut réduire l’écart entre les riches et les pauvres, c’est très important.» Le fait politique est donc inextricablement associé à cette notion, qui initialement relevait plus de la philosophie, de l’apprentissage. «  L’harmonie «和谐»  c’est chaque personne qui joue bien son rôle […] sinon cela mène à une société disharmonieuse » me soulignait un de ses camarades de classe, sous une métaphore cinématographique.

« La Chine harmonieuse »

« La Chine harmonieuse »

« Un mot crée pour rendre les documents officiels caractéristiques de l’époque » (sic) osera même un autre étudiant en langue française…et en français dans le texte, s’il vous plait.

Une autre m’expliquait enfin que l’harmonie est un idéal et que si le gouvernement chinois semble s’y atteler sur certains aspects (lutte contre la corruption)cela reste « un tonnerre qui gronde fort pour de petites gouttes de pluie ». Et pour illustrer son propos, et le « lointain chemin restant à parcourir vers une société harmonieuse », me rappeler ce reportage sur la pollution en Chine réalisé fin 2014 par une présentatrice en vue et qui malgré son succès sur les plateformes vidéo, a été brusquement retiré des réseaux.

Loin de moi l’idée de tirer un bilan général de la situation actuelle chinoise sur la base de ces quelques témoignages, je suis tenté de penser que cela reflète une impregnation toujours vivace des traditions chinoises et ce malgré une révolution culturelle très incisive. Ces traditions ne semblent pas prêtes de disparaître, quitte à leur donner un verni « de rêve ». Grattez le verni et vous y verrez une religion populaire toujours vivace quelqu’en soient ses applications modernes.

Alors, l’harmonie confucéenne et « la société socialiste harmonieuse », même combat ? Pas si sur, même s’il faut reconnaître que la communication gouvernementale a su savamment se réapproprier un concept pourtant ancré dans les « 4 vieilleries » et le réactualiser pour en faire un des slogans phare du PCC. Et même, n’est-ce pas une façon de rendre aussi un hommage (inconscient, sans doute) à la phrase de Deng Xiao Ping expliquant que «Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat » … N’est ce pas dans les meilleurs pots que l’on fait les meilleurs confitures après tout ?