#2 Les chroniques de l’étau

Longtemps, je me suis baladé dans les ruelles tortueuses qui longent ma résidence. La quiétude nocturne était le meilleur moment pour se retrouver, seul dans la nuée. On soupèse chaque enjambée et on se dit que c’est peut-être la dernière d’une série avant un moment de fossilisation sociale prochaine. J’allonge la foulée. Je provoque un souffle, un besoin de ressentir la réaction d’un corps engourdi, un corps qui oublie peu à peu sa matérialité. On se sent nébuleux dans la nuée. Les pavés mal scellés du trottoir branlent sous une foulée ferme qui hésite encore si le nord ou le sud seront plus porteurs d’espoir. Le sud, en longeant la résidence! Au croisement de cette rose des bitumes, le fourmillement des échoppes paraît intact pour qui débarquerait avec ses trop grandes étoiles dans les yeux ; cette naïveté éteinte par l’expérience et non par la désillusion : « Xi’an, je t’ai connue et te connais toujours. Je te reconnaitrai entre mille croisements! »

Les pas glissent sur la devanture huileuse d’un boucher qui dispose ses quartiers sur des palettes de cartons. Les saucisses sont suspendues sur des cintres roses, la lumière n’est qu’une simple ampoule blanche de chaux, fils dénudés et balancée par la nuée. Je progresse incertain de ma direction mais ferme dans le pas. Un vendeur de grainettes et autres grignoteries me fait de l’œil. Un sac en plastique dans une main, une louche grand format dans l’autre : la pêche aux amandes, aux noix en tout genre peut commencer. « Ou vais-je aller ensuite si ce sont les derniers instants ? »

Les réverbères jaunissent le macadam de leur hauteur mais les ombres indomptables sont légions et il faut les suivre pour connaitre le cœur de la ville. Ces fameux bidonvilles interstitiels des communautés d’habitations où se concentrent des bouquets de tours de plus de trente étages. Il est là, le cœur poisseux du réel, de la modernisation imparfaite. Celle qui claquemure le contaminé, enferme le soupçonné, détruit le méfiant. Les sinuosités urbaines sont la respiration de ce qui ne s’observe plus pour les inaccoutumés ; l’invisible se devine par les senteurs, les fumets du présent. L’œil n’est pas sûr mais de nuit, seuls l’ouïe et l’odorat guident. On s’aventure le nez en avant et la démarche plus tâtonnante car tout devient flasque soudainement ; la semelle couine parfois, crisse souvent, gémit tout le temps. Il faudra y revenir en journée, histoire de confirmer un fantasme aveugle d’une lune trop pâle.

Dernier tournant et c’est l’avenue principale de l’abondante célébration. J’y gis au 39 ; mais pas avant de passer des commerces spécialisés dans la vente de produits pour le commerce : caisses enregistreuses, présentoirs, rideaux de fer, code QR… Le spectacle est décidément plus tolérable tout rideau baissé. Le vrombissement est incessant mais l’oreille absolue citadine informe d’une ralentissement dans le flot de cette cacophonie en pavés majeur. La nuée inonde de son imperception physique, une barbe à papa maléfique, un ectoplasme se mure et se déploie à chaque craquement urbain. J’avance dans la lumière qui n’est que le reflet d’un soleil mort, éparpillé par une brume de Styx. Les hôtels sont d’un calme dérangeant ou bien mobilisés pour les prochaines quarantaines, nouveau sas de bienvenu dans le réel épidémique. Le souffle se raccourcit enfin car il me tarde de rentrer les mains pleines de noisettes. Me voilà dans le rôle d’un écureuil dont le printemps aurait claqué sa porte au museau, rappelant sa sœur hivernale pour un nouveau tour d’hibernation. J’ai beau aimer les noisettes, ce nouveau tour d’endormissement s’avère décidément plus pénible tant le printemps se veut moqueur. Certains diraient que le printemps a le caprice romantique. Pourtant, les magnolias roses et blancs attestent de sa présence criante. Alors, pourquoi devrais-je dormir encore une fois ?

#1 Les chroniques de l’étau

Etau, nom masculin : « Appareil formé de deux mâchoires, dont le serrage manuel, à l’aide d’une vis, ou la fermeture, par un dispositif pneumatique ou hydraulique, permet de maintenir en place les pièces ou les objets que l’on veut travailler. » (Merci l’ami Larousse).

On ne se refait pas! Le passé de juriste n’est jamais révolu. C’est une sève méthodologique qui innerve les muscles de la raison. C’est une moelle de pensée, une essence de perception, une approche du réel. On peut très bien se dire rêveur, imprévisible ou encore inclassable, l’étude du jus vous marque au fer rouge de la logica. Libre à soi de ne point l’être dans les états les plus légers de l’existence, l’appel du cogito revient au galop quand les mâchoires d’un étau s’ébranlent, que la situation s’évade soudainement du plan établi. La vérité dévisse et la raison devient l’ultime cheville qui vous relie au vrai, au véritable, au vivable. Alors on définit ce qui qualifiera une série de chroniques ; une série déjà limitée pour ne pas être redondante. L’essentiel de ce qui émoustille la curiosité d’une expérience a déjà été dit. Ces chroniques auront pour but un simple aperçu rétrospectif: un coup d’œil vers la dernière retraite sanitaire imposée. Elle semblait s’éloigner quand à la soudaineté de celle-ci fit place les gémissements des premiers tours d’écrou. Lents, menteurs, vils : l’infâme est de retour!

Les mâchoires ont bougé à peine plus d’un mois et demi depuis la levée du dernier écrou. A la brutalité des instants hivernaux a fait place une certaine langueur de la pression. Celle-ci ne surgit plus : elle s’étale comme une faute irrémédiable suivie de sa chaîne de conséquences. Les caciques tremblent à nouveau d’une fièvre qui ne disparaît jamais dans un système pénitencier étatisé : elle est l’infusion même de l’architecture dont il faut s’abreuver au risque de voir la réalité folle dans laquelle on se trouve. Alors on chevrote en levant le regard vers le prochain barreau d’une échelle infinie ; l’échelon du bas n’a d’autre fonction que de supporter les angoisses de celui qui le précède; le peuple, lui, est l’âne bâté de son propre échafaud. Quelle ironie!

Au fond, on s’interroge sur la part d’implication que l’on offre à ce système en y vivant au quotidien. On se demande pourquoi rester et quel sens a tout cela. Ces personnes qui ne verbalisent pas autant leurs sentiments sont-ils consentants pour autant ? Pas de philosophie de comptoir ni de psychanalyse de bas étages ; les mots ne seront qu’un ruban d’impression, une échappatoire à un flot d’âneries qui tente de se ménager un coin de bonne conscience en mangeant chèvre et tofu. Les chroniques de cet étau se termineront après son dernier tour de vrille, inéluctable mais pour être utilisé une nouvelle fois, il faudra bien que la prise se desserre, c’est sysiphien! Durant ce temps, divaguons et analysons avec un regard volontairement limité et limitant car la quête d’universalité de la pensée est une case déjà cochée par les Lumières et les romantiques au XIXe siècle. Tentons de comprendre d’une hauteur de tabouret ce que sont les ultimes tenants d’un ressac infernal et qui n’a que la mélodie d’un pas de vis vrillé.

Regardez par mes yeux ce que je veux bien vous montrer et vous transmettre, dans l’échelonnement de chroniques courtes et parcellaires. Cette fois-ci, nous auront le temps de scruter les dentelures de ces mâchoires grinçantes. Plus rien ne s’y reflète, elles branlent d’usure mais demeurent sur d’implacables rails, les menant à leur mutuelle rencontre. Ces chroniques n’en seront qu’une vision fantasmée de leur procession macabre. La partition d’un frottement fiévreux, la plan d’une farandole funéraire, le projet d’une fanfare funeste. Vous ai-je dit que j’adorais les allitérations ?

#15 Carnet de la Paix Éternelle

Cher ami,

Depuis la première missive, je ne t’ai pas tenu au courant du dénouement des évènements de Xi’an. Ça y est! Depuis hier, clap de fin et déconfinement total officiel au 25 janvier 2022. Quand les réseaux sociaux l’annonçaient, le gouvernement local le démentait alors que c’était sa propre méthode calcul qui était appliquée. Déjà six jours sans nouveaux cas. Les veillées de la fête du Printemps s’annoncent donc sereines. Le 1er février toute la Chine entrera en communion culturelle pour l’équivalent de notre Noël. Quelques boutiques n’ont pas pris la peine de rouvrir, soit pour faire la liaison, soit pour raison de désastre économique. Seule la rentrée permettra de visualiser un peu l’étendu des petits dégâts du quotidien.

Les habitants se faufilent dans les gares routières aux alentours. Le balais de valises fuchsias brillantes a repris. On se hâte, trop heureux de cette libération inespérée avant les fêtes. La météo n’accompagne pas le mouvement et un couvercle de béton fumeux écrase la ville de son crachin londonien. Tout est terne et délavé, la machine vomit son trop plein dans le caniveaux. On patauge avec l’allégresse d’un retour qui a failli être impossible, qu’importe les salissures climatiques après tout.

Tout le monde porte scrupuleusement son masque, certains sont parfois doublés, souvent râpés, ne protégeant que les apparences. On scanne à nouveau des codes QR pour activer notre pass sanitaire en temps réel et géolocalisé. Il sera facile de retracer le moindre de nos pas en cas d’épidémie nouvelle. Les restaurants rouvrent alors s’y essaie, pour tester, pour y toucher enfin et chasser l’illusion de l’euphorie. Une chaîne de restauration rapide spécialisée dans les nouilles froides à la crème de sésame (麻酱凉皮) et au sandwich à la viande (肉夹馍 – Rou Jia Mo); mon pêché mignon comme premier pas dans la réalité.

Clap de fin, dis-je pour ces carnets. Mais je ne cesserai pas de t’écrire ainsi qu’à d’autres. Je souhaite te montrer régulièrement et avec plus de profondeur mes observations du réel et mes suggestions du fantasme. Les choses ont bien changé ici. J’ai l’impression de vivre, non pas dans une autre dimension, mais dans une planète sise sur la Terre. Une terre où certaines logiques brisent la logique pour devenir politique dans leur essence et non plus dans leur interprétation. Une terre où des contes fantasmatiques sont narrés au point de tromper surement certains de leurs conteurs. Une terre pleine d’une indocilité tapie et si frémissante qu’il faut en scruter la finesse des plis pour la déceler. Une terre où tout tourne rond mais avec une définition politique de ce qu’est la rondeur géométrique. Alors garde bien les yeux ouverts car je pense pouvoir t’offrir quelques réflexions sur un monde que n’aurait pas rejeté Lewis Caroll.

Bien à toi, cher ami

PDG

#14 Carnet de la Paix Éternelle

Chère P.,

Je suis à moins de deux heures de la libération officielle de ce lazaret impromptu en vallée de loess. Mais depuis deux jours, la ville se rétablit à grand pas pour donner l’impression d’une normalité retrouvée. Le gouvernement local se devait de donner des gages dans la perspective du nouvel an et de ses congés qui démarrent le 1er février 2022. Il y a encore une semaine, la communication était encore très précautionneuse et les conditions nombreuses avant d’espérer une vrai retour à la normal.

Cela fait désormais quatre jours que c’est un peu la foire à la saucisse. Une vraie normalité règne même si les autorités locales trouvent le temps d’ergoter entre « le retour à la normal ne veut pas dire normalisation de la situation » ou encore « 0 cas ne signifie pas 0 risque« . On a rarement vu couverture plus duveteuse et couvrante face au danger qui reflue sans risque avéré de contre coups. A tel point que les digues ont lâché en moins de 48 heures : suppression de l’autorisation préalable auprès du quartier pour quitter la ville, ouverture de tous les commerces, instauration de jauges dans les lieux de loisirs et de tourisme. Et toujours, le tout enrubanné de nombreuses précautions qui viennent contredire l’euphorie ambiante (et les mesures donc!) : « ne sortez qu’en cas de besoins! », « ne vous réunissez pas! ». Les autoroutes périphériques sont annoncées comme partiellement ouvertes et gratuites mais « surtout ne prenez pas la voiture! ». Il sera toujours aisé, par la suite, de dire à une population indocile : « On vous avez (bien) prévenu ».

La normale est donc revenue mais ce sera pleinement officiel que demain. En attendant, le confinement a su imprimer sa marque sur les esprits. La torpeur flotte avec les flocons neigeux comme une nouvelle couche frigorifiante qui en chasse une autre. On sort peu alors, on observe un temps léthargique et grisonnant. On peste contre ceux qui relaient benoitement et avec un jansénisme vulgaire les appels à la plus grande prudence sur les réseaux sociaux. Les réflexes reprennent pourtant très vite : les livreurs de repas font les 3*8 dans les résidences pour consoler les traumatisés de la cuisine maison. Les livreurs de colis reprennent du poil de la bête malgré encore quelques longueurs. Plus rien ne s’oppose à considérer Xi’an comme ville paria, toutes les zones à risques ont été neutralisées en deux coups de cuillère à pot. Les passes sanitaires ont peu changé de couleur malgré les nombreuses menaces brandies lors des tours de test PCR; malheur à qui en aurait raté, ne serait-ce qu’un seul. A l’ouest, (plus) rien de nouveau.

Je t’embrasse.

PDG

#13 Carnet de la Paix Éternelle

Chers parents,

Il neige depuis 2 jours. Il n’apparaît plus de cas depuis 2 jours. Il a pourtant cessé de neiger ce soir, et 3 cas ont été découverts. Gaspard Ulliel est décédé sur une piste bleue de ski avant hier. Rien ne semble plus relier malheur et délivrance que l’apparition de la neige. Souvent d’obédience poétique, on la savoure tranquillement comme une couverture de froid réconfortante. Il fait alors froid, mais dans une douceur que l’on peut observer, qui volette et affleure notre visage dans une candeur éphémère. Parfois elle ne s’arrête pas et le songe se change en profondeur abyssale : paralysie, accidents, morts, malheurs.

Le 18 janvier 2022, le jour 0 du cas 0.

Pour s’assurer d’une libération en bonne ordre, on organise une nouvelle tournée de test au sein de ma communauté. Elle a pourtant été déclarée quelques jours auparavant, « communauté sans maladie » mais au fond, la logique ne s’est-elle pas évaporée quand Beijing a sérieusement déclaré que l’arrivée du variant Omicron du Sars-Cov-2 était due à un colis postal en provenance du Canada ? et ce, en opposition au consensus médical sur les risques liés à la contamination par objets interposés. Je vous l’ai dit, pas de mise à jour des modes de transmissions: on asperge toujours autant de javel au sol, et désormais, on désinfecte les livraisons en invitant le réceptionnaire à en faire autant après ouverture. L’homme en blanc est la nouvelle mascotte du bien-être!

Dernier test sous supervision militaire. Quitte à marquer le coups!

Mais le processus de déconfinement ne ralentit pas. Chaque jours, les zones de dangers de contamination sont déclassées en zone à faible risque. On est passé de presque 20 à désormais 4 zones dangereuses. Aujourd’hui étant un jour impair, je me décide à sortir avec une collègue qui réside dans la même communauté. Un garde tamponne nos attestations cartonnées sans exiger de signature comme indiquée pourtant. Le rouge bave et l’on peine à savoir quand on est sorti. Quant à l’heure précise…. . Une bise fraiche saoule instantanément et je m’étonne joyeusement du bruit de la circulation déjà audible depuis les grilles d’entrée. On marche dans de la gaze, tout s’anime dans une pesanteur étrange. Les gens transportent quelques victuailles mais nous décidons de nous engager dans les ruelles au nord pour faire un tour de pâté. Les transporteurs s’activent pour remplir leurs camions de denrées autrefois envoyées quotidiennement dans les arrondissements plus éloignés.

La vie reprend! Je craignais de sortir, trop ravi d’un cocon inconfortable qui s’avéra trompeusement confortable. Quelle sortie vivifiante! L’odorat et les yeux pour seuls guides, je déambule rapidement à la recherche d’une gargote fumante susceptible de combler un appétit de circonstance. Tout fera l’affaire et la garniture sera la merveille des merveilles après 5 semaines d’enfermement strict. Là! Un petit magasin de sandwichs typiques, fourrés à la viande ou aux légumes. Va pour la viande, elle est halal de surcroit, je serai ainsi béni pour cette première sortie et ma reconnaissance de la grandeur divine accompagnera le paiement (9 RMB soit 1€20 au taux de change actuel).

Une brochette de fruits d’aubépine, fourrés à la pâte d’haricot rouge et enrobés de caramel fera office de dessert (冰糖葫芦 – Bing Tang Hu Lu). L’écœurement est proche, trop peu habitué à une telle frénésie de gras et de sucre en l’espace de 10 minutes, je me décide à rentrer avec ma collègue. L’entrée de la communauté nous confirme qu’il n’y a décidément plus de raison de craindre le virus, et à part un coup d’œil furtif d’un garde sur l’attestation, rien d’autre n’est contrôlé.

Ce sentiment de liberté soudaine donne l’impression de la réappropriation d’un jouet que l’on nous a confisqué subitement. On le redécouvre avec une joie nouvelle et on se dit que l’on en profitera encore plus au risque d’un bis repetita malvenu. Cela donne un coup de fouet salvateur et on prend conscience de la rareté de cette émotion. Est-il besoin de la renouveler pour autant ? Il y a une lassitude et cette redécouverte d’un champ libre n’est en rien comparable à celle ressentie en mai 2020 en France. L’épisode de Tianjin étant de l’ordre « je décide de me jeter dans la gueule du loups même si la digestion s’avère plus longue que prévu (on ne digère pas une saloperie comme moi aussi facilement ^^)« , donc pas de sentiment comparable. L’album Panini du confinement étant quasiment rempli, j’envisage de commencer une nouvelle collection, avec ou sans la bénédiction du gouvernement local et central.

De toute façon, je n’en ai pas besoin, je vous l’ai déjà dit, je suis déjà consacré, par la puissance de la bénédiction du 肉夹馍 (Rou Jia Mo – Pain fourré à la viande, met traditionnel de la cuisine xianaise).

Je vous aime. Je vais bien.

PDG

#12 Carnet de la Paix Éternelle

Cher C,

Quand je t’ai envoyé un mail hier, je ne pensais pas que tu répondrais si vite. Des années d’éloignement me laissèrent penser que la communication était rompue. Je profite alors d’une nouvelle missive pour te donner des nouvelles de la situation sur Xi’an.

Les choses bougent et s’accélèrent dans une impression de désorganisation flottante. Tout flotte ici : soit dans la brume, soit dans la frénésie. Des volontaires du quartier sont venus frapper aux portes pour distribuer des cartons d’autorisation de sortie. J’ai dû les rattraper au vol, trop occupés qu’ils étaient à frapper chez un voisin d’en face qui n’a jamais habité ici. Le petit boitier noir à hauteur des yeux me fait penser à un coffret à clés pour les sous-location de vacances. Il n’a pas fini de manger des 馒头, le gonze! (Man Tou- boule de pain cuite à la vapeur, aussi bonne et chère qu’une baguette industrielle à 39 cents). Il faut que je comprenne bien le fonctionnement car aucune annonce officielle n’a été relayée dans les temps ; pour une fois on agit plus vite! Donc, une sortie par foyer tous les deux jours, pour aller faire des courses et dans un délai n’excédant pas les 2 heures…et les jours impairs car je loge au 11e étage, étage impair (et passe…). Et on se moquait de l’administration française et du gouvernement pour avoir inventé les attestations de sortie au format papier….

Qualité cartonnée et en couleurs!

Cette carte, véritable passeport local, sera contrôlées à l’entrée et à la sortie avec contreseing du garde de la résidence. Elle ne couvre que l’équivalent de 3 sorties soit une semaine. Certains voisins spéculent déjà d’une vrai retour à la normal une fois le carton plein obtenu. On verra bien si les volontaires proposent du rab d’ici là ; je n’en suis plus à pareille générosité républicaine. Mais il est fort à parier que l’imminence des vacances du printemps incite à accélérer le mouvement de libération afin d’autoriser quelques déplacements. Les péages périphériques ayant été déclarés gratuits, j’ai dans l’idée que l’on se prépare à une petite migration de principe vers les plaines de loess. On peut aussi se demander si la municipalité prendra le risque de contrarier une nouvelle fois les retrouvailles familiales, véritable équivalent des fêtes de Noël pour les habitants. La population n’a que très peu apprécié ce confinement qui débute sa 5e semaine aujourd’hui. La résilience est réelle, mais quand le récit local nous fait croire à une résilience positive, autant pouffer dans son coude, au risque d’être contagieux!

Tu vois, je ne suis pas rancunier de tout cela. On en apprend un peu plus sur soi et ses perspectives. On tire des enseignements et de nouvelles façons de faire. On devient moins attaché à certaines choses qui semblaient évanescentes et dont il s’avère qu’elles ne valaient pas certains sacrifices. On se dit que finalement le choix est éclairant, « je commence à comprendre » comme disait Nora Helmer dans Une maison de poupée d’Ibsen. Car oui, je suis Nora Helmer.

Amicalement

NH